Business War [Ehma]

Mutée, bêtement.
C'était une évidence. Lorsque peu de temps après l'acte, ils avaient été convoqués par le Boss, leur destin avait déjà été scellé. Bien évidemment, il ne risquait rien car il se présentait au monde entier en tant que directeur de l'ARK et couverture du réel patron. Freyja avait du faire les frais de leur union charnelle ; Andy l'avait mutée à Amenthalys. Freyja n'avait pas discuté. Qu'aurait-elle pu dire de toute façon ?

Lorsqu'il descendit de la caravane nomade qui l'avait guidé jusqu'à la flamboyante cité d'Opale, Sergueï plaça sa main au dessus de ses yeux afin de tenter d'apercevoir au loin, Amenthalys. Seul le hurlement des dunes répondit à son appel muet, une claque au visage aussi violente que le vent qui battait la marée dorée, infinie.
Freyja ne lui avait soufflé aucun adieu, laissé aucun mot, aucun signe. Elle s'était tristement évaporée.

Le directeur avait rendez-vous avec le Maréchal d'Opale afin de traiter des différentes mesures d'échanges de cobaye à venir ; l'échange d'un certain Sargueia n'avait pas été concluante. Se pourrait-il que les Traqueurs n'étaient pas assez affaiblis pour recevoir un quelconque traitement, mais trop pour rentrer dans la potentielle armée d'Andy ?

Késar Kairos resterait en bas à aller chercher la matière, en espérant que cette fois-ci, il n'allait pas refaire la décoration des murs. Sergueï frappa à la porte d'un bureau austère où on le mena ; il allait rencontrer la Maréchale pour la première fois.

Ehma était derrière son bureau, en train de ranger deux nouveaux courriers dans un de ses multiples tiroirs, quand elle entendit deux puissants coups à la porte. Elle n'attendait pas de visite si tôt, mais au final, le plus tôt était le mieux.

Elle se lève, contourne son bureau, assez simple mais solide, et traverse en quelques enjambées l'espace qui la sépare de la porte. Ehma ferme les yeux, prends une grande inspiration, et actionne la poignée.

« Entrez »

Sergueï entre dans la pièce, immediatement happé par les senteurs d'encens qui brûlent dans chaque coin du bureau. Les murs couleur terre et la lumière tamisée renforce l'ambience chaleureuse de l'espace, mais la rigidité des lignes lui rappellent qu'il est tout de même dans un bureau militaire.

Ehma a déjà retraversé la pièce, et lui tire à présent un des fauteuils.

« Asseyez-vous, mon cher, je crois que quelques discussions nous attendent. »

Le pronom relatif était un euphémisme. Ehma était-elle seulement consciente de la tonne de sujets qu'ils auraient à traiter aujourd'hui ? Les différents plans dont il fallait venir à bout devaient constituer à eux seuls la plus grande guerre que la maréchale n'aurait jamais eue à mener. Ayant eu vent des quelques complots menés par Raziel, Sergueï savait de source sûre qu'une guerre était proche ; il aimerait cependant ne pas être contre la force dominante, surtout malgré lui.

Sa nervosité lui cria de ne pas s'asseoir mais en termes de rangs, Ehma Riley demeurait supérieure à lui en plus d'être son hôte du jour. Il contra l'impolitesse de ses sentiments actuels et prit place sur le siège que la jeune femme lui proposait. Lorsqu'elle eut regagné sa place, il joignit ses mains sous son menton, portées par ses coudes, appuyés sur ses genoux.
Tout dans son regard indiquait qu'il était préoccupé, et il y avait de quoi, comme la maréchale ne tarderait pas à le comprendre.

-J'imagine que les récents événements de Karnevale Avenue ne vous sont pas inconnus très chère. Comme vous le savez certainement, le...déclin de la firme Artémysienne nous contraint à une réduction de main d’œuvre assez fâcheuse. Vous comprendrez certainement que je vous proposerais volontiers d'augmenter le troc de vos produits...

Il parlait bien sûr des prisonniers voués à mourir que leur fournissait l'industrie Opalienne.

-Cependant nous avons eu récemment quelques problèmes avec vos produits envoyés. En effet il s'avère que certains spécimens se trouvent particulièrement récalcitrants, tant physiquement que mentalement, aux expériences que nous leurs imposons. Permettez-moi de vous demander d'où cela pourrait-il venir ? Avez vous changé quelque régime récemment ?

De quel droit l'attaque-t-il frontalement dès le début de la conversation ?

« Les produits que nous vous envoyons sont toujours de qualité. Nous les choisissons parmi les plus résistants, c'est à vous de voir ce que vous en faites ensuite. Peut-être votre conditionnement se trouve-t-il être trop faible, ou trop court ? Nos gardiens s'occupent au mieux de briser leurs défenses, mais ne sont pas pour autant omnipotents.
Sauf votre respect, cher partenaire, mes hommes n'ont, à ma connaissance, rien à se reprocher quant à la préparation de vos commandes. »

Ehma a l'impression qu'il la scrute, qu'il essaie de la transpercer d'un regard, mais son esprit n'est pas à prendre. Elle se rafermit, satisfaite de sa réponse, confiante en ses hommes. Elle n'est pourtant pas tranquille. Rien de ce qu'elle sait à propos des commandes du colosse ne permettait d'expliquer les incidents que ce dernier venait d'évoquer. Mais Sergueï n'était pas homme à lui mentir, et malgré le mystère qui l'entourait, Ehma ne pouvait mettre en doute la véracité de ses derniers propos.

Avec l'aplomb naturel que ses hommes et partenaires lui connaissent, elle entreprit de calmer le monstre.

« J'ai une grande confiance en mes lieutenants, mais celle-ci est décuplée en ce qui concerne ceux que j'ai désignés pour gérer vos commandes - spéciales. Malgré cela, je vais immédiatement rechercher ce qui pourrait poser problème dans leur mission, afin, comme toujours, de vous garantir la qualité de la main d'oeuvre. Ils ne vous poseront plus problème longtemps, croyez-moi.

Peut-être vouliez-vous m'exposer un cas en particulier ? »

Bien évidemment, si dysfonctionnement il y avait, Riley ne l'avouerait jamais, surtout pas devant un homme tel que Sergueï. Malgré tout la Maréchale se devait de ne pas oublier un facteur très important : c'était que l'ARK était l'une des plus grosses sources de revenus de l'armée. Transférer des prisonniers à l'ARK leur faisait gagner de l'argent mais aussi de la place dans des cellules. Moins de bouches à nourrir ; tout bénef.

Etant donné la façon dont elle lui répondait et ce malgré sa diplomatie à toute épreuve, Sergueï perçut qu'elle s'était sentie agressée. Un peu normal en même temps, le client n'était pas content et le client était roi, même en temps de guerre – surtout en temps de guerre.
Mais pour le contexte, elle l'ignorait encore. Sergueï n'allait pas tarder à la mettre au jus et là, elle aurait vraiment une raison de se mettre en rogne. Le dragon sommeillait encore dans ses yeux d'une sombre sérénité et ce n'était pas plus mal.

-Un ancien Traqueur nous a causé quelques problèmes. Vous connaissez la nature de nos expériences sur la marchandise. Nous avons tout mis en œuvre pour générer le moins de pertes possibles. Certes, elles ont diminué de moitié, à tel point qu'elle ne réussissent même plus. Après quelques études il s'est avéré que certains ADN sont anormalement puissant. Je me permets de vous alerter en tant qu'associé...sur la...puissance actuel de certains de vos prisonniers...

Désormais, il ne pouvait plus rien cacher. Son associée l'avait toujours connu franc et direct et ce n'était pas en temps de guerre froide que cela allait changer. Des saloperies couvaient dans le sable et même sous terre et n'allaient pas tarder à attaquer.

-...car j'ai d'actuelles preuves parfaitement fondées sur le fait que Raziel respire encore. Et il respire tellement bien qu'une armée se prépare actuellement à attaquer Opale.