[Terminé] Dîtes moi tout, très chère. [PV Freyja]

Cela faisait longtemps qu'Eléanore n'était pas venue au siège de l'ARK. Elle était partie en voyage vers Amenthalys pendant deux mois, appréciant le calme et la tranquillité des bords de mer de la capitale. Mais il fallait bien rentrer, car si elle avait pu s'éloigner car elle n'avait pas de travail en cours, les affaires reprendraient sûrement à l'ARK.

Elle marchait à présent dans les couloirs de l'organisation, un peu au hasard. Elle serait sûrement convoquée à un moment où un autre pour une mission, pour l'instant en tout cas elle n'avait rien à faire. Elle sentit soudain un léger fourmillement dans son corps, et l'instant d'après sa faucheuse était là.

"Ah te voilà toi. Toujours pas au bon moment, hein?"

La faucheuse ne répondit pas. Comme d'habitude. Mais peu lui importait, elle avait l'habitude de parler seule.

"C'est toujours aussi lugubre ici..." Elle soupira. Il suffirait de mettre un peu de couleur par ci par là, mais il est vrai qu'ils ne pouvaient changer l'odeur nauséabonde qui régnait sur la Zone. Tant pis. Le siège de l'ARK n'était pas sensé être un lieu agréable après tout.

Plongée dans des pensées de la sorte, elle ne s'aperçut de la présence d'une autre personne qu'en sentant un nouveau tiraillement dans son organisme, signe que son karnevale voulait s'exprimer. Concrètement, cela signifiait que dès que quelqu'un approchait alors que son karnevale était activé, elle devait faire un effort pour ne pas que sa faucheuse le tue. Oh, ce n'était pas grand chose, elle avait appris à maîtriser cet aspect embêtant de son pouvoir. Elle le faisait inconsciemment à présent. Elle arrivait même à cibler les attaques quand elle devait exécuter quelqu'un - ce qui n'avait pas toujours été le cas.

Toujours est-il qu'en ce moment, elle retenait sa faucheuse de s'attaquer à Freyja Frost.

"Oh, bonjour Freyja. Comment allez-vous?"

Eléanore était le genre de personne à vouvoyer tout le monde. Cela venait naturellement, que ce soit pour un supérieur, un manant qu'elle devait exécuter, ou une collègue comme Freyja qui se rapprochait le plus de ce qu'on appelle une amie. Eléanore n'avait pas vraiment d'amis, elle avait des connaissances, des relations de travail, mais elle appréciait la jeune femme au regard de glace. Et c'était l'occasion d'apprendre les dernières nouvelles au sein de l'organisation.

[dis moi si ça va @_@]

Sombres. Les couloirs sont de plus en plus sombres ici. Comme si l'air radioactif réussissait à s'insinuer dans les bâtiments de l'A.R.K., rongeant les murs... rongeant vos êtres déjà bien nécrosés de l'intérieur. Cette atmosphère empoisonnée commence à te peser Freyja, et tu te demandes pourquoi tu ne le ressens que maintenant...
Peut-être parce qu'avant tes yeux étaient couverts par des œillères. Peut-être parce qu'avant ça ne te dérangeait pas d'accomplir de basses besognes. Peut-être parce qu'avant que le mythe que tu avais de ton patron ne s'effondre et que tu ne rencontres ce cobaye foiré mais si humain, tu te fichais bien de tout... Parce que ton cœur était mort et que tout ce qui se passait autour t'importait peu. Peut-être à cause de tout ça à la fois...

Tu rases de plus en plus les murs Freyja, tu t'enfermes de plus en plus dans ton bureau, cliquetant de nombreux rapports, archivant certaines notes. Tu fuis autant que possible les salles d'expérience... Tu aimerais mettre ton comportement sur le compte de la fatigue. Pourquoi pas après tout ? Il t'arrive d'abattre le travail de plusieurs hommes en une journée... Tu pourrais avoir besoin de vacances. De vraies vacances. Mais pour aller où ? Et faire quoi ? Tu as beau réfléchir, retourner mille et une fois cette idée dans ta tête, rien n'y fait, tu ne vois pas solution qui te paraisse plausible. Tout te ramène toujours à ton travail...

Tes yeux papillonnent un peu, alors qu'une voix te tire de tes pensées. On vient de te saluer et de te demander comment tu vas. Qui... Ton regard de glace rencontre les yeux d'Eléanore Ërin. Ça faisait longtemps que tu ne l'avais pas vue... Et elle avait l'air en bien meilleure forme que toi, ce qui ne te semblait pas compliqué en l'état actuel des choses.

« Bonjour Eléanore. Cela va très bien et vous même ? »

D'un geste de la main, tu lui montres la porte de ton bureau, l'invitant à t'y suivre. Vous pourrez y parler en paix. Tu la précèdes et ouvre ladite porte avant de t'effacer pour la laisser entrer, refermant derrière vous, et te retenant de la verrouiller pour être sûre de ne pas être dérangées. Que t'arrive t-il Freyja ? Depuis quand as-tu envie de fermer à clé la porte de ton bureau ? Tu ne crains pourtant rien ici...

[ça m'allait très bien \o/ j'espère que ma rep te va aussi ovo ! possible de l'éditer sans suchi !]

"Ma foi, je vais bien. Ce séjour à Amenthalys était très reposant."

Freyja leur ouvrit la porte de son bureau et elle entra avec sa faucheuse, qui alla se poster dans un coin de la pièce. Elle s'assit sur le siège en face du bureau et sourit à la jeune femme.

"Vous devriez essayer aussi. De prendre des vacances je veux dire."

En effet, elle n'avait pas l'air en forme et semblait même un peu inquiète. Eléanore aurait pu lui demander ce qui la tracassait, mais elle préférait attendre qu'elle lui en parle d'elle-même si elle voulait le partager. Elle se contenta donc de la détailler avec bienveillance, se doutant quand même qu'elle lui répondrait par la négative.

Quand elle furent toutes les deux assises, elle croisa les jambes et poursuivit :

"Enfin, je ne crois pas qu'une telle occasion se représentera de si tôt. J'imagine qu'il s'est passé beaucoup de choses en deux mois non? J'ai l'impression que la sécurité a été renforcée."

La séance de mise à niveau pouvait commencer. Il lui serait utile de savoir ce qu'elle avait manqué avant de recroiser un supérieur, surtout maintenant que l'organisation semblait si agitée.

Tu rejoins ton siège de bureau d'un pas lent et souple, puis tu t'y asseois, et tu rejettes doucement tes cheveux en arrière. Tes lèvres sont secouées d'un tic quand elle te parle de vacances. Ta tête doit vraiment faire peur à voir...
Eléanore t'expose ensuite une question bien... épineuse. À savoir ce qui s'est passé pendant ses deux mois d'absence. Tu pinçes les lèvres, fermant les yeux, et tu t'enfonces profondément dans ton inconfortable fauteuil. Inconfortable ? Depuis quand d'ailleurs ? Tu ne t'en étais jamais plainte auparavant...

Tes paupières finissent par se rouvrir, et tu plantes tes yeux gelés dans ceux de ta vis-à-vis. Tu prends une longue inspiration, et te remettant droite, tu commences à lui expliquer ce qu'elle a manqué. Tant de choses en fait...

« Monsieur Sakharov travaille, en louant un... homme à tout faire, sur la détermination du Karnevale. De même... il recherche des résultats d'expériences du temps de Raziel, dans l'optique que cela nous aide pour nos recherches futures. »

Tu sors deux gobelets de plastique de ton bureau et en pose un devant Eléanore. Puis tu te saisis d'une bouteille d'eau et remplis vos deux verres. Là, tu te désaltères un peu avant de reprendre ton long exposé.

« Valentina... s'est... entichée d'un nouveau cobaye, sur lequel elle a fait elle même les expériences. Et... elle est partie, laissant les rênes de l'A.R.K. à ce nouveau cobaye... Andy Jacobsen. Peut-être que cela vous dit quelque chose... Monsieur Sakharov et lui ne s'apprécient nullement, mais il semblerait qu'ils ont trouvé un terrain d'entente pour les objectifs futurs de l'A.R.K. … Bref, les choses ont bien changé en deux mois, comme vous pouvez le voir. »

Tu venais de faire l'ellipse de ce qui s'était passé à propos de Sergueï et... de sa catin. Ça ne concernait pas les affaires de l'A.R.K.. ça relevait du domaine privé... et ça, vous en parleriez peut-être plus tard.

"Je vois."

Effectivement, elle avait raté des événements de taille. Visiblement, les expériences allaient bon train, ce qui était une bonne chose car elles s'étaient fait attendre. Mais Eléanore ne suivait pas trop toutes ces recherches scientifiques, elle agissait plus sur le terrain. Bien qu'elle soit passée sur le billard, elle ne s'était jamais intéressée aux détails. En fait, elle ne s'intéressait pas vraiment à l'ARK en général. Comment dire... Elle y était entrée parce que son karnevale était utile, et elle y était resté parce qu'elle n'avait pas de but à atteindre. Certes, elle s'informait sur l'organisation quand elle pouvait, mais elle ne prenait pas son travail à coeur comme le faisait Freyja.

Andy Jacobsen... Oui le nom lui disait quelquechose. Mais elle n'arrivait pas à se souvenir exactement pourquoi.

"Et comment est-il ce nouveau chef de l'ARK?"

Eléanore pouvait trouver des informations sur sa vie, mais Freyja lui décrirait très bien son caractère, elle en était persuadée. Et elle se doutait aussi que la description serait peu flatteuse, vu comment elle le désignait. Elle fronça alors les sourcils, en réfléchissant à la position de leur chef "officiel", Sergueï.

"Mademoiselle Valone a gardé son tempérament de feu à ce que je vois. J'aurais cru que monsieur Sakharov reprendrait la tête de l'organisation."

Il fallait croire que l'homme resterait la façade de l'ARK, celui qui s'occupait de les blanchir aux yeux du monde, tout en restant aux ordres d'un autre.

C'était bon de parler avec Eléanore. Elle ne se perdait vraiment pas dans des tergiversations sans importance, se contentant d'aller au but. Tu avais bien souvent entendu que vous, femmes, vous perdiez sans arrêt dans des babillages futiles, sans intérêt quelconque, et bien souvent emprunts de fausseté. Eléanore était le contre exemple parfait de ce que beaucoup d'hommes avançaient.
Elle te demanda d'ailleurs comment était votre... nouveau chef. Inutile de lui faire un état de sa vie, de ses attributions, elle pourrait certainement trouver tout ça en faisant quelques recherches. Tu pris quelques instants pour bien choisir tes mots, bien les peser. Ne rien faire dans la précipitation ça ne servait à rien.

« Il est du même style que Valentina. En plus lucide... Un temps de silence. Il est déplaisant. Et trop fougueux. »

Eléanore avait connu, comme toi, votre précédente chef. Vengeresse, impulsive et sans pitié, voilà comment vous pouviez la définir, ainsi que brisée de l'intérieur...
Tu t'étais abstenue de faire plus de commentaires personnels au sujet d'Andy Jacobsen. Tu aurais pourtant pu déblatérer pendant de longues minutes à dresser un portrait des moins flatteurs de ce nouveau patron... Mais ça n'aurait rien changé. Il ne changerait pas, et tu ne l'apprécierais sans doute pas plus.

« Hmm... Je crois que Valentina ne considérait pas Monsieur Sakharov apte à reprendre le flambeau. Il est trop... posé pour ça. Il ne peut avoir qu'un rôle de façade. Andy Jacobsen avait bien plus le profil de l'emploi. Je suppose que Valentina s'est un peu vue en lui. »

Tu bus une gorgée d'eau et transformas le reste en glaçons.

« Je ne sais pas si vous avez connu Elliott Taylor, mais il a également été prévu au programme de s'occuper d'elle. »

Comme elle l'avait supposé, Freyja n'aimait pas son nouveau patron. La lucidité était pourtant une bonne chose, l'homme devait avoir de sacrés traits de caractères pour faire ainsi pencher la balance. La description était succincte, mais suffisante. Eléanore avait côtoyé Valentina bien sûr, mais la nature fougueuse de celle-ci avait empêché la jeune femme de vouloir en savoir plus sur elle. Elle était une femme pleine de secrets, trop lourds à porter peut-être, qui l'avaient rendue agressive. Alors Eléanore avait simplement pris ses ordres, sans chercher à en savoir plus. Et sans doute ferait-elle la même chose pour leur nouveau chef.

"C'est vrai que M. Sakharov tient bien son rôle. Après, est-ce qu'il aurait eu assez de fougue et d'initiative pour mener toute l'organisation... Je pense que Mlle Vallone a préféré miser sur la jeunesse aussi. Mais sans doute ne le saurons-nous jamais."

Le verre de Freyja se remplit de glace alors qu'un léger silence se faisait. A quoi pouvait bien penser la jeune femme? Elle semblait pensive. Peut-être lui confierait-elle ce qui lui pesait sur le coeur?

"Je ne sais pas si vous avez connu Elliott Taylor, mais il a également été prévu au programme de s'occuper d'elle."

"En effet, je la connais. Il m'est arrivé de passer du temps avec elle. Une enfant charmante, malgré ses sautes d'humeur."

Que pouvait-on bien lui vouloir? Elliott désirait-elle améliorer son karnevale? Ou bien était-ce une opération plus définitive?

"Une amélioration de karnevale?"

Ce serait dommage de la perdre, Elliott était une jeune fille sympathique.

Assez de fougue et d'initiative pour mener l'organisation... Oui, pour sûr, Sergueï aurait rondement mené l'affaire, il aurait parfaitement su où vous mener. Sauf que c'était à Andy Jacobsen que la tâche avait été confiée... Et ça n'allait pas être la même histoire. Au moins il était plus lucide... c'était toujours ça...

Tu tiquas un peu sur les termes par lesquels Eléanore définit la jeune Taylor. Enfant charmante... ça n'était pas tout à fait comme cela que tu voyais la demoiselle. Quand elle était calme, ça t'allait parfaitement... Cependant, elle l'était trop peu à ton goût, et cela te rendait plutôt froide et distante lorsque tu la croisais. Tu étais pire qu'une petite vieille à tes heures perdues, avec ta volonté de calme et de silence.

« Je n'ai pas la réponse... Il semblerait plutôt que... Monsieur notre nouveau patron n'en veuille plus dans ses pattes. De même, Monsieur Sakharov ne l'a jamais trop appréciée... J'espère toutefois qu'ils lui laisseront le choix... »

Elle vous avait quand même été bien utile par moments cette petite. Autant lui laisser la possibilité de mettre les voiles au lieu de l'exécuter sommairement. Ou de la faire aller du côté des sujets d'expérience...
Tes glaçons se compactèrent en un seul bloc. Tu contins un soupir.

« Je me sens de moins en moins bien ici. »

Inconsciemment, cela te fit du bien de lâcher enfin le morceau.

Effectivement, si les côtés à la fois officiel et officieux la trouvaient indésirable, la jeune fille avait du souci à se faire... Et à l'ARK, le souci était plutôt du genre définitif.

"Je l'espère aussi."

Eléanore sentit un léger tiraillement, et quand elle tourna la tête sa faucheuse n'était plus là. Elle se détendit un peu dans son siège. Parfois, son karnevale pouvait s'activer pendant toute une journée, voir même la nuit. Il lui était quasiment impossible de dormir alors, car si la faucheuse disparaissait quand elle dormait profondément, elle était bel et bien là jusqu'à ce que la jeune femme s'endorme. Et si quelqu'un avait le malheur de passer à ce moment-là, son karnevale la tiraillait et elle devait le retenir pour ne pas qu'il saute sur le passant. Encore une fois, ce n'était pas grand chose, mais il est difficile de s'endormir en se concentrant sur quelque chose.

Elle reporta son attention sur Freyja, et la vit se tendre un peu plus.

"Je me sens de moins en moins bien ici."

Elles commençaient donc à effleurer le problème. Evidemment, cela avait trait avec l'organisation. Freyja vivait pour son travail, comment aurait-elle pu avoir quelque chose qui lui pesait sur le coeur qui n'y soit pas relaté? Mais quel était donc le problème?

"Pourquoi?"

Peut-être ne le savait-elle pas vraiment, mais Eléanore sentait que des évènements précis l'avaient dérangée. Comment sinon rebuter un femme aussi respectueuse de son travail et de son employeur?

"Que s'est-il passé?" ajouta-t-elle doucement, pour l'inciter à se confier, pour se libérer d'un poids qui visiblement lui pesait.

Eléanore t'aida en te posant deux questions précises, qui allaient te permettre d'aiguiller tes réponses dans le bon sens. La glace dans ton verre s'amusa à prendre des formes différentes... Elle ne s'amusait pas en fait, puisque ce changement de formes était quelque chose de ton fait... elle subissait. Une rose délicate se substitua à la représentation d'une molécule, et fut suivie par une silhouette d'oiseau, avant de se retrouver à son point de départ : un bloc uniforme de glace.

Tu fermas les yeux et t'enfonças dans ton siège, comme pour t'y fondre. Comme si c'était possible... puis tu les rouvris et te décidas en fin à parler. Il fallait bien commencer par quelque chose.

« Ce nouveau chef ne m'inspire pas confiance... Je suis inquiète quant à ce qu'il pourra nous demander... Et quand à la place que je pourrai occuper. »

Oui, tu avais peur de te retrouver à la poubelle petite Freyja. Et le fait que tu aies... quelque peu dérangé Sergueï en te retrouvant en face de sa catin ne t'aidait pas à penser qu'il pourrait faire quelque chose pour toi. Et tu n'étais même pas sûre d'en avoir envie en fait...

« J'ai également rencontré un de nos multiples échecs... en trainant dans la Zone. »

Ce sujet n'était, à proprement parler, pas ton échec puisque tu liquidais toi même tes erreurs. Mais bon, il était un échec de Votre organisation. Et tu te retrouvais solidaire des actes de tes collègues.

« Ce monstre était plus humain que moi... »

Tellement plus humain alors qu'il n'y avait plus rien de tel dans son physique...
Voilà donc deux des trois points qui te turlupinaient et rendaient si pâle et torturée...

Elle la laissa finir de parler avant de dire quoi que ce soit. Quand le silence se fit, Eléanore le laissa durer quelques instants en regardant la jeune femme.

"Vous êtes une femme compétente et dévouée à votre travail, Freyja. Peu importe le dirigeant, s'il n'est pas fou il saura reconnaître vos capacités. Quand aux attentes qu'il aura de vous, de nous tous... Je suppose que nous ne pouvons que laisser faire le temps pour qu'il nous montre de quoi il est capable. Nous torturer de mille et unes questions ne fera pas changer le cours des choses."

Eléanore ferait ce qu'on lui demandait. Jusque là, elle n'avait pas été incommodée par ses ordres, il lui suffisait simplement d'ôter la vie à certaines personnes. La mort ne la dérangeait pas. Mais la suite des paroles de sa collègue lui rappela que l'organisation laissait aussi derrière elle des gens vivants, des gens qui peut-être auraient été mieux morts.

"Ce monstre était plus humain que moi..."

Eléanore se pencha en avant, et la regarda droit dans les yeux. Elle aurait voulu lui prendre la main pour la rassurer, mais la jeune femme s'était repliée sur elle-même, calée dans son fauteuil.

"Freyja. Vous êtes humaine. Vous l'êtes autant que moi, ou que la jeune Elliott Taylor, ou que M. Sakharov. Seulement, nous avons tous nos objectifs et nos défauts, et nos comportements diffèrent. Ne vous refusez pas cela, alors que ce monstre comme vous l'appelez en a été privé. Vous avez le choix. Vous n'êtes pas obligée de vous conformer au rôle que vous tenez depuis que vous travaillez ici."

Il fallait qu'elle comprenne que si son environnement au sein de l'organisation devenait trop pesant, elle pouvait s'évader, mener une vie à côté. Elle pouvait vivre pour autre chose que son travail.

Laisser faire ses preuves à Andy Jacobsen... Le laisser montrer de quoi il était capable... Hmmm... Ce n'était peut-être pas une mauvaise chose... Eléanore avait sans doute raison. Ce n'était pas parce qu'il te déplaisait en tant qu'être humain qu'il serait forcément un mauvais patron. Qui sait... peut-être vous mènerait-il plus haut et plus loin que Valentina ? Et peut-être d'une meilleure façon ? Elle avait raison... Te torturer mentalement ne servirait à rien. Il était à ce poste et c'était comme ça. D'ailleurs, Sergueï n'avait pas cherché à l'éliminer – jusqu'à preuve du contraire – preuve justement qu'il avait accepté ce que Valentina avait décidé... Les choses étaient et seraient donc comme ça. Point.
Cependant une petite voix dans ta tête ne cessait de te rappeler d'être sur tes gardes. Andy serait peut-être bien aussi impitoyable que Valentina concernant vos possibles futurs échecs. Et dieu sait que tu n'avais guère envie de commettre de nouveaux impairs. Tu en avais déjà bien trop commis à ton goût.

Un goût amer dans ta bouche, tu laissas Eléanore te morigéner. On aurait dit que tu étais une adolescente en pleine crise, et elle, ta mère, qui tentait de te remettre dans le droit chemin. Ou plutôt de te remettre les yeux en face des trous. Ainsi, tu n'étais – selon elle – pas obligée de te conformer au rôle que tu avais décidé de tenir depuis ton arrivée dans l'organisation.
Ce rôle de femme ne vivant que pour son travail.
Mais tu ne vivais que pour ton travail pour une bonne raison : ne pas t'effondrer. Ou tout du moins, ne plus t'effondrer. Ne plus ressembler à un légume– quoique sur ce point, une fois en dehors du travail tu ne devais pas être bien intéressante à observer – et tenter de vivre. De vivre oui. Parce qu'Elle n'avait pas pu elle.

Et au final, c'était apparemment un échec relativement cuisant. Tu n'avais su que t'enfoncer et t'enfermer dans ton travail, sans chercher à te reconstruire. Et tu t'étais pris la baffe du siècle en entendant ton patron te révéler qu'il se tapait les putes. Lui avait l'air de s'être relevé de la perte de ses êtres chers à son cœur.
Et toi Freyja ? Combien de temps encore allais-tu te voiler la face ? Rester dans cette fausse vie. Pouvait-on d'ailleurs appeler ça une vie ? Travailler, travailler, manger parfois. Puis dormir un peu. Puis travailler et travailler encore, sans relâche.
Depuis quand ne t'étais tu pas amusée ? Oh, depuis ta visite à cette exposition avec Sergueï. Tes yeux s'en allèrent d'ailleurs fixer ce petit vitrail qu'il t'avait offert. Ce petit vitrail que tu poignardas du regard, que tu te retins d'envoyer voler en éclats au loin. Qu'il était déjà loin ce temps où tu pouvais parler de tout et rien avec Sergueï. Aujourd'hui tu le fuyais comme la peste, alors que son comportement n'avait rien eu de répréhensible. Il avait le droit de vivre. Il avait le droit d'être humain.

« J'imagine que d'un côté ça m'arrange de rester comme ça. De garder mon masque perpétuel. C'est tellement plus simple que de changer. »

Un regard triste en direction d'Eléanore.

« La pilule la plus dure à avaler a été celle où j'ai appris que Monsieur Sakharov allait aux putes. J'ai rencontré celle qu'il s'est tapé. J'ai voulu l'avoir dans l'organisation comme cobaye, à cause de son Karnevale que je jugeais... intéressant et utile au possible. Et il lui a sauvé la mise... Je me suis sentie plus bas que terre ce jour là. »

Drôle de façon d'avouer qu'à tes yeux, ton patron était un peu plus que ton patron.

Apprendre que son supérieur rendait visite à des prostituées ne la choqua pas. Non pas qu'elle s'en doutât, elle n'y avait simplement jamais réfléchi, et l'image qu'elle avait de lui ne changerait pas. Elle estimait de pas avoir à le juger, d'autant plus sur des actes de sa vie privée. Elle n'entretenait qu'une relation professionnelle avec lui après tout. En revanche, pour Freyja ce devait être autre chose. Eléanore savait qu'ils étaient proches, sans doute plus proche qu'elle ne le serait jamais de quiconque. Et à l'intonation de la jeune femme, elle comprit à quelle point elle avait pu être blessée ce jour-là. La protection de cette prostituée avait constitué pour elle un échec à la fois professionnel et personnel. Pour ne pas dire sentimental.

Que pouvait-elle lui dire maintenant? Elle pourrait la rassurer, lui dire qu'elle comprenait, l'inciter à reprendre confiance en elle. Lui souffler de se confier à son patron, qu'elle aurait peut-être ses chances. Mais Freyja n'était pas une femme idiote. Elle semblait avoir vécu trop de désillusions pour se laisser porter par des mots de collegienne. Alors elle lui dit simplement :

"Si un jour vous voulez enlever ce masque, venez vous promener avec moi. Les apres-midi commencent à se radoucir, il suffit de s'enfoncer dans les bois pour trouver des lieux paisibles et agréables. Ici l'air est pesant et a tendance à faire ruminer des idées noires."

Eléanore n'était certes pas la meilleure personne à qui parler quand on avait besoin de réconfort, mais au moins savait-elle écouter, en silence s'il le fallait. Elle ne pouvait guère offrir plus à la jeune femme.

Elle t'écoutait religieusement. Elle t'écoutait sans paraître dérangée le moins du monde... Pas dérangée le moins du monde alors que tu t'exprimais encore comme une adolescente. Désespérément comme une adolescente. À croire que tu avais régressé. Où était la femme sensée et responsable ? Où étais-tu Freyja ? Dans quoi te perdais-tu ?

Eléanore te proposa de te joindre à elle, parfois au cours de l'après midi, pour aller... vous promener. Oui tu avais bien entendu. Vous promener. Dans la nature. Tu dus admettre qu'elle avait raison... tu avais grand besoin d'air, et ce n'était pas te promener dans les couloirs de l'A.R.K. ou dans la Zone qui allaient t'offrir un bon air. Pas plus que ton appartement Amenthalysien. Oui ce dont tu avais besoin c'était de prendre un vrai et un gros bol d'air pur. T'aérer pour de vrai...
Et peut-être qu'après cette balade en plein air, tu te sentirais mieux... Peut-être que tu pourrais envisager les choses sous un angle nouveau. Sous un meilleur angle. Tu ne croyais pas aux miracles – plus rien ne serait comme avant de toute façon – mais tu espérais sincèrement que les choses iraient mieux. Elles ne pouvaient pas être pires qu'à l'heure actuelle, pensais-tu.

Tu inclinas doucement la tête vers Eléanore.

« Merci de m'avoir écoutée... et merci de votre proposition. Et de votre côté, tout va bien ? »

L'heure était de retourner la politesse, et de s'enquérir de l'état de ta vis à vis. Tu t'étais assez plainte comme cela.

"Je vous en prie." Elle lui sourit. "De mon côté, hm?"

Elle prit quelques secondes pour réfléchir. Le sujet était clos sur la vie de Freyja, c'était donc à elle de se livrer.

"Eh bien ma foi, oui tout va bien. Ce séjour m'a fait le plus grand bien. Je suis allée visiter les côtes Amenthalysiennes, le bruit des vagues est très reposant savez-vous? Mais sinon, il ne s'est rien passé de trépidant, et c'est peut-être mieux ainsi."

Elle eut un petit rire. D'aucuns auraient regretté l'absence d'aventures, aussi bien épiques que sentimentales. Mais Eléanore ne s'attachait pas aux gens, et si elle ne refusait pas une "histoire d'un soir", ce n'était pas ce qu'elle recherchait.

Elle laissa donc planer le silence un instant avant de regarder sa montre. Le temps passait vite quand elle discutait avec Freyja. Mais elle ne voulait pas la retenir tout l'après-midi, aussi se leva-t-elle doucement de son siège.

"C'est toujours un plaisir de parler avec vous Freyja. Mais je vais y aller à présent, et vous laisser vaquer à vos occupations. Pensez à ce que je vous ai dit, je serai charmée de marcher en votre compagnie."

Elle lui fit un petit signe de tête, et se dirigea vers la sortie. Il était temps de reprendre le travail.

Eléanore fut très succincte sur son séjour à Amenthalys. Il était vrai que cette ville avait beau regorger de bon nombre de choses, elle pouvait très bien ne permettre qu'un séjour banal à qui la visitait. Toi même tu n'avais trop rien à en raconter... Trop rien à en retenir. À part ta rencontre avec Andy Jacobsen, puis ton après midi à l'exposition avec Sergueï.
Ça suffisait ! Ça suffisait Freyja ! Assez de penser à lui ! Assez ! Assez de ressasser tout ça dans ta petite tête !

À la rigueur, tu pouvais solliciter un entretien avec lui pour mettre quelques choses au clair. Et encore. Tout semblait l'être assez. Il te fallait avancer, quitte à essayer de te botter le derrière pour forcer un peu les choses... Et ça commencerait dès qu'Eléanore aurait quitté ton bureau. Chose qu'elle s'apprêtait d'ailleurs à faire.

« Merci Eléanore... Bonne continuation... Et... à bientôt. »

Ta voix n'était peut-être pas convaincue pour l'instant, mais tu irais marcher avec elle. Oui, tu irais te changer les idées à ses côtés. Te revint en tête sa phrase quant au bruit des vagues. Reposant ? Hmm... vrai que cette nuit là, passée à parler avec cette jeune Amenthalysienne, tu avais eu l'impression que l'eau avait un peu aidé à t'apaiser. Tu songeas à y retourner... ça ne pourrait pas te faire de mal.

Tu rendis son signe de tête à Eléanore, et dès qu'elle fut sortie, passas à l'action. Le vitrail offert par Sergueï disparut rapidement dans un des tiroirs de ton bureau – tu n'avais pas la force, ni l'envie, de le jeter, et le cendrier – que tu lui sortais traditionnellement – connut le même sort. Puis tu sentis quelque chose d'étrange sur ta joue. Ton doigt effleura cette chose étrange. Une larme. Elle fut la seule que tu t'autorisas à verser, avant de te replonger dans un dossier.