[Terminé] Last Chance [Andy]

I wish i could put the blame on you
I want you to make me
I want you to take me
I want you to break me
Then I want you to throw me away

Les chaînes crissent. Au fond, elles ne l'ont jamais quitté. Après tout, ce mec était un menteur. Il est venu le déranger dans la tranquillité de sa cellule du camp rouge, a failli le piquer. Il lui avait rendu son arme avant de la reprendre. Puis peut-être qu'il s'était fait descendre, car il ne l'avait jamais revu. Au fond, il avait eu tort de lui faire confiance. Peut-être aurait-il du lui arracher la tête, comme aux autres.

Le 15122008 n'était pas difficile à nourrir puisqu'il ne mangeait pas, étant habitué au rythme stricte du Camp Rouge. Le 15122008 n'était pas difficile à maintenir au calme puisqu'il restait assis en permanence dans le fond de sa cellule. Il ne représentait aucune dépense technologique en terme de blocage de Karnevale...puisqu'il n'en possédait pas.
Enfin, il calmait ses compagnons de cellule puisque sa haute stature les terrorisait.

Le seul problème est que toutes les expériences produites sur lui afin de lui injecter un Karnevale foirent. Mais le plus gros problème n'est pas l'échec de l'expérience...
...c'est que le sujet s'en sort en vie.

James Ylyzar, qui a autrefois capturé les deux scientifiques de la nouvelle Alzen n'a même pas à brusquer le sujet pour l'escorter jusqu'au bureau du boss. Déjà parce qu'il peut faire sauter son corps à tout moment et ensuite parce que le prisonnier lui a fait remarquer qu'étant donné son odeur, il n'avait pas l'air comestible.

Ylyzar frappe à la porte du bureau d'Andy. S'écarte. Sargueia rentre sans bruit, sans faire d'histoires.
C'est trop beau.

Ça y est, le moment était enfin venu d’accueillir le sujet le plus intéressant qu’il y ait eu au sein de l’ARK depuis qu’il en était le patron incontesté. Pour le reste, les expériences ratées s’entassaient et c’était juste lassant de devoir s’en occuper. Ce n’étaient rien de plus que des ordures bonnes à jeter, ni plus ni moins.

Confortablement installé dans son fauteuil, il attendait patiemment sa venue. Il avait insisté pour recevoir ce type dès son arrivée, vu l’intérêt qu’il représentait pour l’organisation. Sergueï pourrait en faire ce qu’il voulait, tester ce que bon lui semblait sur lui, l’important était qu’il accepte de les rejoindre. Et Andy ne comptait pas lui laisser le choix ; soit il acceptait, soit il mourait. C’était pas compliqué.

Pendant qu’il feuilletait le dossier à son sujet que lui avait composé son associé, il entendit frapper à la porte. L’énergumène ne tarda pas à faire son apparition dans la pièce ; il ne semblait pas s’agiter ni se débattre, alors Andy haussa un sourcil, curieux, le sourire aux lèvres. Finalement, d’un geste de la main, il l’invita à s’asseoir sur le siège en face de son bureau, le regardant fixement.

« Salutations. Je suis certain que nous avons beaucoup de choses à nous dire, Darghan. »

Le plafond est plus haut que celui des cellules. Naturellement courbé, 15122008 se demande cependant pourquoi il n'est pas obligé de le faire cette fois-ci. Ses chaînes qui relient ses poignets à ses chevilles – un simple artefact étant donné sa force musculaire – cliquettent alors qu'il stationne devant le boss de l'ARK, qui n'est donc pas celui qui lui a fait subir toutes les injections. Ses yeux scrutent le visage de celui qui l'accueille, suspicieux.
Soudain, une explosion dans son cerveau. Il le connaît et lui aussi.

Un sourire étire ses lèvres gercées, découvrant ses dents pointues d'animal prédateur. Etonnant qu'un chien comme lui soit devenu Chef d'une grande organisation alors que lui, scientifique et grand traqueur – dans tous les sens du terme – se retrouve en prison car il ne quitte pas son idéologie...

-Jacobsen...Effectivement.

Des souvenirs à se raconter, des pics à se lancer. Le bon vieux temps qui remonte comme une bile chaude qu'on s'apprête à vomir sur l'autre pour le consumer. Sargueia ne parle pas beaucoup mais n'en pense pas moins : il sait déjà que lorsqu'il passera une nouvelle fois cette porte, ce sera avec un contrat ou sans vie.
D'ailleurs, la prononciation de son nom de famille – un vieux souvenir, ça aussi – éveille une lumière dans ses yeux. Du respect, ou un simple moyen d'attirer son attention comme on arrête une bestiole ?

-Vous avez une dernière saloperie à tester sur moi avant de me renvoyer là bas ?

Là bas, il entendait bien sûr le Camp Rouge. Il avait survécu jusqu'ici, une dernière expérience ne lui ferait pas de mal.

Ce type était gigantesque. Même Andy qui était de taille relativement grande, était obligé de lever les yeux pour le regarder. C’était plutôt réducteur, mais en même temps… ça n’avait pas de grande importance. Ce qui attira son attention, c’était ce visage qui ne lui était pas inconnu. Il ne se souvenait pas de tous les autres traqueurs de Raziel mais sa mémoire ne lui faisait pas défaut lorsqu’il s’agissait d’éléments aussi marquants que celui-ci. Une perle rare…

Il s’alluma une cigarette, le regard fixé sur cet homme qui venait d’esquisser un sourire dément tout en prononçant son nom. Ce nom qui avait été sur toutes les lèvres pendant la guerre ; Jacobsen, le chien de l’empereur, le toutou que l’on détestait au moins autant que son maître. Il sourit à son tour, ravi de voir que finalement, la clé de sa victoire contre Raziel se tenait juste face à lui. Il semblait être curieux, désireux de connaître quel serait son sort ; évidemment, Sergueï ne se priverait pas d’expérimenter toutes sortes de choses sur lui, mais ça… peu lui importait. Le vif de la discussion n’était pas là…

« Je vais être direct… vous ne retournerez jamais là-bas. »

Jamais il ne retournerait au Camp Rouge. Soit il restait ici, soit un sort bien plus sordide que le Camp Rouge l’attendait. Et sur ce point, Andy ne comptait pas faire dans la demi-mesure.

« Ce que je vous propose, c’est de rejoindre mon organisation. Et d’ailleurs… ce n’est pas une proposition. Je ne vous laisse pas le choix. »

Pourquoi être subtil, après tout ?

Si Andy devait lever les yeux pour le voir, l'énergumène qui se tenait devant lui n'avait d'autre choix que de les baisser dans sa direction. La vie au Camp Rouge a sculpté sur son corps une position prostrée, habituée par les plafonds bas et les travaux exténuants. Lorsqu'Andy fait sa proposition aux airs doucereux de menace, les chaînes de Sargueia cliquettent tout à coup, de surprise.

Va-t-il réellement l'arracher à son enfer ? Tirer un trait sur les travaux de jour et de nuit, les coups de fouet, l'unique repas de la semaine, l'eau croupie et les viols collectifs ? Effacer, d'un geste et de quelques mots enchanteurs, le symbole de son idéologie pour Raziel ?
Cela semblait être trop beau et pourtant, celui qui autrefois était un chien donnait aujourd'hui les ordres et semblait déterminé à faire de Sargueia ce qu'il souhaitait.

Mais quoi, au juste ? Sargueia incline la tête.

-D'accord.

Ses épaules se haussent, se détendent, comme si cet engagement lui était parfaitement égal. La proposition d'Andy en aurait réjoui plus d'un. Cependant, la lueur vivace qui a brillé autrefois dans les yeux du Traqueur-Chimiste a disparu depuis bien longtemps. Ainsi, le miroir de ses yeux ne laisse transparaître autre chose que les troubles actuels de son âme.

-Qu'est-ce que je dois faire ?

Il se serait attendu à un refus catégorique, ou peut-être à n’importe quoi sauf un signe immédiat d’acquiescement. Il ne se posait pas réellement de questions, n’affichait aucune surprise et gardait un calme à toute épreuve. Il était bien loin du colosse grossier et contestataire qu’il avait imaginé, mais ce n’était pas plus mal ainsi.

« Rien de trop compliqué pour vous. Vous allez devoir subir quelques expériences, mais Sakharov vous donnera de plus amples informations à ce sujet. »

Il n’avait pas envie de perdre son temps dans des explications scientifiques que lui-même n’était pas susceptible de comprendre entièrement. Il était là pour commander, non pour s’essayer à la science et à ses innombrables issues. Et il fallait bien que Sergueï serve à quelque chose. Le regard rivé sur le géant qui lui répondait docilement, il l’observait, l’analysait, cherchant à déceler le moindre signe d’émotion au fond de son regard.

Il souffla un nuage de fumée grise, confortablement installé dans son fauteuil. Il prenait son temps, car la discussion n’avait pas lieu d’être dépêchée. Il savait bien pourquoi cet homme avait été enfermé au Camp Rouge, et n’importe qui saurait qu’il serait difficile à convaincre. Mais Jacobsen était confiant, sûr de lui, et poursuivit avec assurance sans tenir compte de tout ce qu’il savait.

« Je suppose que vous le savez déjà… mais Raziel est toujours en vie, et son existence est une gêne pour moi et mes agents. Vous allez m’aider à m’en débarrasser. »

Probablement parce que son avis importait peu.

Sargueia sourit. Parce que pour une fois, il en sait plus que Jacobsen dans un domaine. Sa punition en attendant d'aller sur le terrain n'aura pas été une perte. Il n'est pas comme tous ces cobayes affolés qui s'allongent sur le billard sans savoir ce qui va leur arriver, non. Sargueia reconnaît la moindre substance à la couleur ou à l'odeur. Tout ce qui peut montrer les choses, les rendre plus claires, tout ce qui peut faire mal. Comme la vérité.

La vérité qui claque, comme un coup de fouet, renforçant le sourire de Sargueia. Un infime détail change alors sur ce tableau sordide ; une infime lumière apparaît dans les yeux de l'énergumène qui en dehors de cela, ne manifeste rien.

-Très bien.

Il est vivant. Il a été le seul à y croire. Il le savait. Tous les autres se sont foutus de sa gueule pendant qu'ils en avaient encore la force et lui a continué à croire, à le visualiser dans sa tête. A espérer qu'un jour, il pourrait le revoir.

Jacobsen veut le détruire. Soit. Sargueia acquiesce comme un bon chien qu'il a toujours été. Quand il ne veut pas faire quelque chose, il ne le dit pas franchement. Il ne proteste pas ; il sait reconnaître quand une cause est perdue. Il n'a plus l'âge de se rebeller comme s'il était plein de vie et d'espoir. C'est quand vient le moment d'opérer qu'il explose selon la folie du moment.

Car en cet instant, Sargueia est un peu ailleurs. Il ne sait plus s'il a répondu très bien pour accepter la mission ou pour commenter la nouvelle.
L'annonce de la survie de Raziel lui a arraché sa lucidité.

Andy resta de marbre devant ce gracieux sourire qui sciait le visage de son interlocuteur. Il leva les yeux au ciel, comme agacé par ce sourire excessif et impudique. Poussant un léger soupir, il rejeta toute la fumée qui envahissait ses poumons, tout en gardant le silence pendant un moment. Darghan ne posait pas la moindre question et obéissait simplement. Dès lors qu’il avait prononcé le nom de Raziel, il s’attendait à cela, à ce comportement suspect qui cachait vraisemblablement quelque chose.

« Je connais vos idéaux. »

Sa voix tranchante détruisit le silence pesant et il se leva lentement de son fauteuil. Il ne cherchait pas à savoir quelles étaient les arrières pensés de Darghan, cela lui importait peu. L’important était qu’il exécute les ordres. Et pour cela, il fallait qu’il sache à quoi s’attendre.

« Aussi n’est-il, évidemment, pas nécessaire de préciser que si vous me trahissez de quelque manière que ce soit… Il marqua une légère pause, puis reprit, d’un ton très calme et assuré, comme pour parler de simples banalités d’usage. Il se pourrait bien que vous le regrettiez tout le restant de votre vie. »

Si tant est qu’il daigne l’épargner. Et il avait toutes les cartes en main pour faire de sa vie un véritable cauchemar. Jacobsen était un vainqueur et il ne laisserait personne lui damer le pion.

Jacobsen s'énerve ; il ne fait que prouver son humanité. Il attaque, encore, et encore. Sargueia ne se départit pas de son sourire. Les menaces s'écrasent sur son corps taillé dans le marbre, taillé par Raziel, comme des boulettes de papier insignifiantes.
Son nouveau patron tente, à travers l'autorité digne d'une mère, de l'amener dans le droit chemin, celui de la sincérité et la loyauté. Piètre tentative de lui donner l'idée de l'enfer, l'enfer qu'il ne connaît lui-même pas.

-Je n'ai pas de regrets. Je n'en ai plus. Qui me punira pour avoir trahi Raziel ?

Ce mot fait vibrer son corps tout entier car la trahison est l'une des dernières mœurs lucides à laquelle il tient plus que tout. C'est une essence, un héritage, quelque chose qui se transmet, comme le sang, comme l'adn.
Il a toujours été loyal à Raziel comme un bon vieux cabot, mais quel bouledogue est le pire ? Celui qui obéit et celui qui trahi.

-Si vous en venez aux menaces, c'est que je dois vous faire très peur.

Son sourire quitte ses lèvres aussi facilement que la lumière dans ses yeux. Tout en lui, de nouveau, s'est éteint. La dure réalité reprend place dans ses iris dilatés par l'enfer.

-Alors, on commence où on continue à causer ?

Le camp rouge lui manque déjà.

Andy arqua un sourcil, sans vraiment comprendre les réelles intentions de cet homme. Qui trahirait-il, son ancien ou son nouveau boss ? La réponse n’avait aucune importance. Il obéirait, c’était certain. Et qu’il retourne sa veste au dernier moment ou non n’était qu’un détail et le maître de l’ARK n’aurait aucun problème à écarter tout parasite qui se mettrait en travers de son chemin. Un léger sourire à peine visible étira ses lèvres lorsque son interlocuteur constata qu’il lui faisait sûrement peur. Oh oui, tellement peur d’être obligé de tâcher son beau costume de son sang.

« Ce ne sont pas des menaces. Mais à vous d’appréhender la chose comme il vous conviendra. »

Désormais debout, il contourna son bureau et s’assit sur le rebord, avant de tirer sa cigarette dont le filtre était déjà à moitié consumé. Il l’écrasa dans son cendrier avant de croiser les bras, en se faisant la réflexion momentanée qu’il faudrait vraiment qu’il demande à ses scientifiques de lui fabriquer des cigarettes un peu plus résistantes. Et d’ailleurs, en parlant de fabrication…

« Je n’ai pas fini, Darghan. Je veux que vous fabriquiez un anesthésiant suffisamment puissant pour endormir totalement un karnevale poussé à son maximum pour une durée d’au moins une journée. Celui que nous avons actuellement est trop faible et précaire pour quelqu’un comme son Altesse. On vous indiquera vos locaux dès que votre bourreau en aura terminé avec vous. »

Il lui adressa un geste de la main, empreint d’un certain mépris, pour lui dire de dégager de son bureau. Sergueï l’attendait probablement à la sortie.

Sargueia détourne la tête et, ses chaînes cliquetant, jette alors un regard à la porte, derrière laquelle son prochain bourreau l'attend certainement. Il n'a pas peur, après tout, il connaît. Jacobsen se cache alors derrière son mépris en lui donnant un ordre d'une simplicité qui le surprend. Un anesthésiant ? La base de la base, quoi.
Au moins Jacobsen avait avoué leur incompétence en la matière.

La porte s'ouvre et il se trouve nez à nez avec Sergueï Sakharov. Il quitte alors la pièce dans un cliquetis de chaînes sinistre. La porte se referme alors brusquement derrière lui.

Il va enfin recommencer à servir à quelque chose.