Andy mettait rarement les pieds au cœur même d’Opale. C’était une ville plutôt animée, malgré l’ambiance tendue qui s’y était installée à cause de l’influence grandissante de l’armée. Il y venait généralement pour vérifier l’état de santé des dragons de l’armée, rien d’autre ne l’intéressait en ces lieux. Pas vraiment en tout cas, même s’il était toujours délectable de voir les gladiateurs se battre dans l’arène.

Mais aujourd’hui la raison de sa présence n’était pas différente de d’habitude. Les dragons, encore et encore. Lui seul était en mesure de définir si un dragon était en bonne santé ou non, ainsi c’était toujours à lui que l’on faisait appel lorsqu’on pensait qu’il y avait un problème.

Il n’affectionnait pas particulièrement les militaires, en revanche. Trouvant que le régime actuel ne valait pas mieux que l’ancien, il avait tendance à penser que ces soldats avaient des manières similaires à celles des traqueurs, dont lui-même avait fait partie. Et le Camp Rouge en était l’exemple parfait, encore plus depuis qu’il savait que c’était là-bas que l’A.R.K piochait la plupart de ses cobayes. Il n’approuvait pas forcément les manières de ses compères, mais plus le temps passait, et moins il se montrait réactif face aux choses qui auraient répugné n’importe qui, d’ordinaire.

Lorsqu’il pénétra dans l’enceinte de la caserne afin de se rendre aux enclos où étaient gardés les dragons, il fut bousculé par une personne qui semblait se précipiter pour s’en aller. Son visage était dissimulé sous un capuchon et il tenait un sac en toile entre ses bras, de manière suspecte. Un voleur ? N’était-ce pas stupide, suicidaire de s’y oser en plein dans la caserne d’Opale ? C'était plutôt étrange... mais par pur réflexe, Andy l’attrapa par le bras et l’arrêta net dans sa course. Peut-être que la personne qui avait été volée se pointerait aussitôt après… autant ne pas le laisser s’enfuir.

« Qu’est-ce que vous faites ? »

Résumé chronologique : Pandore arrive tout droit de la Nouvelle Alzen où elle y a dérobé quelques « secrets » de recherches auprès du Savant Fou. Après avoir croisé le fer avec lui, elle réussit à emporter nombre d'échantillons, malgré ses blessures et sa fatigue. Elle porte donc a sa taille, un sac regroupant les fioles et pilules en tout genre.



La balade avait été longue. L'Opalienne rentrait au galop, pressée, par crainte d'être suivie par des chasseurs. Traverser la forêt d'Orphée puis le désert alors que sa condition n'est pas des meilleures, cela relève de l'hérésie. Mais la guerrière savait pertinemment que si elle s'arrêtait, elle n'aurait pas une seconde de répit et se ferait assaillir par des vauriens ou des bêtes sauvages. Elle filait donc, droit devant elle, le dos plié, les muscles douloureux.
Lorsqu'elle fut arrivée à proximité des premières gardes d'Opale, elle saisit quelques bandages dans son sac et se recouvrit la main, qui était assez amochée. Le reste de ses blessures, elle les cacherait par la tactique la plus basique qui soit, une toge longue, la recouvrant de la tête aux pieds. Elle sauta du dos du cheval, créant un nuage de poussière à ses pied. Elle savoura délicatement l'odeur de sa ville en une inspiration profonde, puis reparti de plus belle. Sa cadence était rapide, elle n'avait pas envie qu'on la voie ainsi. Dire qu'un satané scientifique avait réussit à l'amocher juste en avalant deux de ces pilules. Ce serait peut-être une révolution pour l'armée, même si honnêtement, cela faisait plus chier Pandore qu'autre chose d'avoir à comparer science et expérience du combat.

L'Opalienne fila droit à la caserne, où elle devrait faire son rapport sur sa mission. Elle attacha les rênes de l'étalon au premier piquet venu, et entra avec furtivité dans la battisse. La soldate resta plantée à l'entrée pendant une bonne demie seconde. Ils étaient mignons ces soldats, mais ils ne lui avaient même pas dit ou elle avait rendez-vous. Fonçant tête baissée vers l'un des couloirs démesurés de l'allée, elle se retrouva alors nez à nez avec de magnifiques bêtes. Les dragons possédaient chacun leur enclos, pourtant, leurs yeux trahissaient leur impatience. Les bêtes bougeaient, se remuaient, frétillaient et grognaient à la première occasion venue. Le regard plongé dans le vague, Pandore admirait les créatures, qui elles semblaient bien s'en contreficher de sa présent.

Quand elle fut revenue à elle, la guerrière fut prise de pression. Elle arrivait encore à se perdre et à perdre son temps. Elle n'avait qu'une envie, déposer toutes ces babioles, et rentrer chez elle pour changer ses habits débraillés. Elle fit volte face et bouscula légèrement un individu dans sa course folle. Celui-ci en profita pour la saisir et l'interroger. Pandore retourna la tête, agacée, et sembla même comprendre que l'homme n'était pas de l'armée : pas d'armure, d'insigne, de signe distinctif, rien qui s'apparentait à un Opalien de renom. La jeune femme se dégagea d'un mouvement d'épaule :

– Je ne faisais que passer, veuillez me laisser.

Pensant qu'elle n'avait pas à se justifier, elle rentra sa tête dans sa capuche et entama un demi-tour pour repartir de plus belle.

Comme il s’en était douté, cette personne avait réellement quelque chose de suspect. Qui qu’elle soit, il lui paraissait évident que le sac qu’elle transportait contenait des objets volés. Et pourtant il était surprenant de voir un voleur oser pénétrer dans l’enceinte de la caserne d’Opale… ce n’était certes pas commun, mais il devait y avoir une bonne raison. Il entendit au son de sa voix qu’il s’agissait d’une jeune femme, bien qu’il n’ait pu apercevoir son visage, sous ce capuchon. Elle ne faisait que passer ? Et pourquoi se cachait-elle de la sorte si elle n’avait rien à se reprocher ?

Elle était parvenue à se dégager de l’emprise d’Andy, mais ce dernier qui n’avait pas perdu ses bons vieux réflexes, arracha au vol le sac qu’elle transportait. Aussi pressée soit-elle, elle ne s’en irait certainement pas sans son précieux butin.

Andy observa longuement le sac d’un air suspicieux, cherchant l’ouverture. Le claquement des objets qui s’entrechoquaient à l’intérieur indiquait qu’ils étaient probablement faits de verre. Bon, on ne peut pas dire que le jeune homme était franchement concerné ; ça ne le regardait pas tellement, mais se faisant dans l’idée que la voleuse avait dérobé quelque chose à un représentant de l’armée, il ne pouvait pas la laisser filer comme si de rien n’était. Même s’il n’en faisait pas partie, il avait tout de même un minimum d’engagement à l’égard de l’armée.

Il s’accroupit alors, et vida le contenu du sac sur le sol. Et ce qu’il vit le stupéfia. Le sac était rempli de matériel scientifique, de fioles, d’étranges pilules. Il était évident qu’elle ne pouvait pas avoir volé ceci à l’armée, personne ici ne possédait ce genre de babioles. Mais qu’est-ce que cela signifiait, alors ? Il inspecta une fiole, attiré par la couleur peu ordinaire du liquide qu'elle contenait. À quoi tout cela pouvait-il bien servir ?

Il leva les yeux vers la jeune femme, qui finalement ne s’en était pas allée, et lui lança un regard interrogatif, presque réprobateur.

« Qu’est-ce que c’est ? Où avez-vous trouvé tous ces trucs ? »

Les prunelles azurées de Pandore s’écarquillèrent. Mais d'où sortait ce type qui vidait son sac comme si de rien n'était. Éberluée, elle fut contrainte de regarder l'homme agir, clouée sur place par l'étonnement. Ses questions furent de trop, la guerrière ne put se retenir et fonça avec hargne vers l'irrespectueux. Son bras vint s'harnacher au niveau du col de celui-ci, et le poussa avec une force certaine. S'il n'allait pas s'en démordre ainsi, l'homme avait tout de même reculé, laissant à l'Opalienne l'occasion de ranger les matériaux. Accroupie à son tour, elle se défit de sa capuche pour dévoiler un visage meurtri et fatigué, colérique. Certes elle paraissait louche, mais si l'homme avait un tant soit peu de jugeote, il comprendrait qu'en montrant son visage, Pandore livrait qu'elle n'était pas en tord. Ses yeux étaient devenus menaçant, son ton aussi :

–  Vous me paraissez bien curieux, pour quelqu'un qui n'est pas d'ici. 

Elle se redressa alors aussi furtivement qu'elle s'était agenouillée, nouant à nouveau le sac à sa taille. Agacée par cette curiosité gratuite, la jeune femme détourna le visage, peu fière de ses blessures. Ses poings se desserrèrent et lassèrent place à une certaine platitude. Elle était à bout de force, elle le sentait. Pandore ne pouvait pas se permettre de se quereller une fois de plus, elle mettrait en péril ce pourquoi elle était ici. Tentant tant bien que mal de garder son calme, elle renchérit :

–  Vous l'avez deviné non ? Ces « trucs » ne viennent pas d'ici. Sachez que je suis dans mes droits, où du moins, dans cette cité. 

Son corps se faisait plus lourd à chaque minute. Elle n'espérait qu'une chose, que l'homme la laisse à son affaire, plutôt que d'essayer de la retenir vainement. Un soupir émana de ses lèvres pincées, cet homme semblait plus têtu qu'il n'en avait l'air. Ravalant alors sa fierté, elle préféra jouer la carte de la sécurité :

–   Je ne suis pas en état de me lancer dans des justifications vaines, puisque vous ne me croirez pas. Vous n'avez qu'à me suivre là où je dois me rendre, cela facilitera les choses et pour vous, et pour moi 

Ses sourcils se froncèrent, il était facile de lire sur son visage que cette option l'embêtait plus qu'autre chose. Se faire suivre par un inconnu douteux ? Un comble pour un soldat de l'armée. Les rôles étaient inversés, et Pandore, qui à l'ordinaire, ne se serait pas gênée pour mettre une rouste au premier venu, se devait à cet instant de penser d'une manière plus stratégique.

La jeune femme sembla s’énerver, ce qui surprit Andy. Ce n’était généralement pas à la voleuse de s’énerver de la sorte, elle n’avait qu’à pas agir ainsi. Quelque part, il s’en fichait éperdument, n’étant certainement pas le genre d’homme toujours prêt à aider son prochain… sans doute avait-il agit par une simple intention malsaine. Mais maintenant, le contenu du sac avait piqué sa curiosité. Depuis qu’il était rentré dans les rangs de l’A.R.K, il commençait à bien connaître certains éléments scientifiques et ces fioles lui semblaient douteuses. Il connaissait très bien les pratiques illégales qui se passaient dans le Camp Rouge, alors plus rien ne l’aurait surpris de la part de l’armée.

Et il semblait effectivement que cette femme faisait partie de l’armée. Plus elle parlait, et plus ce fait s’imposait à lui. Mais alors pourquoi s’était-elle comportée de cette manière ? Il la trouva particulièrement étrange, de plus en plus au fur et à mesure. Elle s’était précipitée vers lui pour ramasser le contenu de son sac qu’il avait renversé au sol, en l’engueulant un peu. Andy haussa un sourcil, et esquissa un léger sourire, appréciant presque l’apparent mauvais caractère de la jeune femme.

« Eh bien, vous m’en voyez navré, je vous ai prise pour une voleuse. Il faut dire que n’importe qui à ma place aurait pensé la même chose. »

En principe, il ne s’en serait pas mêlé et l’aurait laissée filer sans rien dire, puisqu’il n’avait pas l’habitude de se mêler de ce qui ne le concernait pas. Mais depuis son adhésion à l’ARK, il s’intéressait à un peu tout ce qui lui paraissait trop louche, et était prêt à parier que tout le bordel que trimballait cette fille était absolument fascinant.

Il se rapprocha d’elle, l’air mesquin, mais surpris qu’elle affirme qu’il ne la croirait pas. Oh, mais quand on a mis les pieds au moins une fois dans la Zone Alzen, on est prêt à croire absolument tout…

« Calmez-vous. J’aimerais que vous répondiez à mes questions. À quoi tout ceci va-t-il servir ? Vu votre dégaine et votre empressement, ça ne me semble pas anodin. »

La Ludwing soupira, décidément, ce jeune homme posait beaucoup trop de questions. Des questions trop pertinentes également, trop directes. Il pouvait être curieux de nature, soit, mais de là à ne pas se rendre compte de l’indiscrétion dont il faisait preuve, c'était aberrant. Espérait-il vraiment une réponse ? Pandore estimait qu'elle en avait déjà largement trop dit sur sa situation. Non, vraiment, elle ne pouvait s'y résoudre, cet homme ne saurait rien, il n'avait pas à savoir. Rien ne pouvait prouver son identité, ni sa légitimité. Il pouvait très bien être un homme à la solde des scientifiques, comme un informateur. S'il voulait en savoir plus, il n'avait qu'à aller dans le vif du sujet et s'entretenir comme elle l'avait fait avec les dirigeants des laboratoires, à ses risques et périls. L'Opalienne avait trop donné d'elle même pour cette mission, partager le butin avec un étranger ne lui passait même pas par la tête. Elle ne put s'empêcher une petite grimace lorsqu'il la compara avec une voleuse, mais en soi, c'était compréhensible. Sa main vint effleurer sa joue endolorie, l'égratignure s'était refermée avec du sang coagulé.

–  J'avoue que j'ai l'air peu présentable.

Il fallait croire qu'elle n'était pas bonne comédienne, car celui-ci ne la lâcha pas pour autant, il revint à la charge avec des pourquoi et des comment, ce qui valut à la soldate une expression toujours plus ferme. Bon sang, elle avait mal partout, elle crevait la dalle, et elle n'avait pas dormi depuis 2 jours, et il se contentait de la regarder d'un air jugeur, indifférent. Certes ils ne se connaissaient pas, mais cela aurait justement du suffire à ce que leur conversation s'arrête là. Elle reprit donc une voix plus grave, plus sèche :

– Ca ne sert à rien de me questionner, je ne vous dirait rien.

Sa tête pivota alors de droite à gauche, craignant qu'un soldat ait pu la reconnaître, elle la fougueuse Ludwing, héritière d'une des familles de guerriers les plus impliqués à Opale. Non pas qu'elle soit honteuse, c'était juste qu'elle n'était pas friande de conversation, et d'attroupement. Si on la reconnaissait, alors forcément on lui demanderait de s'expliquer sur ses blessures, la plaie quoi. Se tenant donc aussi droite qu'elle le put, elle embraya sur des explications inutiles et barbares :

– Si je suis « si » pressée, c'est peut-être parce que je n'ai plus qu'une idée en tête, en finir avec tout ça et rentrer chez moi me reposer.

Elle ne mentait pas, cela n'était pas son genre d'avouer ses faiblesses, mais elle n'avait aucune idée de qui pouvait être ce type, et espérait donc une chose, ne pas le recroiser. Sa tignasse opaline fut secouée par un vent léger. La fraîcheur qui en découla soulagea momentanément Pandore. Les dragons eux aussi eurent l'air d'apprécier le moment, puisqu'ils se mirent à beugler sagement dans leur coin, attirant alors les prunelles de la femme vers eux.

Cette fille, aussi salement amochée soit-elle, n’allait vraisemblablement pas changer d’avis aussi facilement. C’était bien normal que les opaliennes se montrent aussi têtues, Andy en connaissait déjà deux personnellement qui étaient plutôt pas mal dans leur genre… alors plus rien ne l’étonnait à l’heure actuelle. Même s’il aurait grandement aimé savoir quel serait le but de ces fioles pour l’armée, il est vrai que cela ne le concernait pas plus que ça. Et il n’allait pas non plus agresser cette femme, ç’aurait été bien trop déplacé et cela ne rentrait pas dans ses principes.

Elle semblait épuisée, par-dessus le marché. Andy l’observa longuement, d’un air curieux, comme s’il cherchait à lire dans son regard. Elle revenait probablement d’une mission qui s’était avérée plutôt exténuante… à en juger par ce qu’elle gardait précieusement dans son sac, ça avait dû être plutôt particulier. Il ne put s’empêcher de penser que tout cela cachait quelque chose. Mais il préféra ne pas insister, ça n’en valait sans doute pas la peine, et il n’était pas venu pour ça.

« Je vois. Comme vous voulez. »

Il remarqua qu’elle eut l’air bien plus détendu lorsqu’une légère brise se leva. On pouvait entendre les dragons dans leur enclos, tous plus sages les uns que les autres, apprécier eux aussi la fraîcheur de la brise. Il semblait d’ailleurs qu’ils aient attiré le regard de la jeune femme aux cheveux blonds, et Andy les observa à son tour, constatant qu’ils avaient l’air d’être plutôt à l’aise.

Instinctivement, il ne put s’empêcher de la questionner à nouveau, sur un sujet qui n’avait rien à voir avec leur précédente conversation. Généralement il ne s’intéressait jamais aux personnes qu’il croisait ici et se contentait de les dédaigner, mais celle-ci attisait étrangement sa curiosité.

« Vous aimez les dragons, mademoiselle ? »

Pandore fut soulagée lorsqu'elle entendit l'homme lâcher l'affaire. Oui, c'était bien mieux ainsi, il y avait des choses qui ne pouvaient être forcées, la fierté d'une patrie en faisait parti. Aussi surprenant soit-il, la guerrière ne se senti plus menacée par l'individu. Elle se fit plus paisible, calmée. Le regard toujours plongé vers les enclos des bêtes. L'étranger s'aventura à changer de sujet, victoire pour elle. Sa question valut un sourire honnête de Pandore, si elle aimait les dragons ? Quelle question. Lentement, elle s'avança vers l’enclos le plus proche et s'appuya contre les barreaux. Levant mollement un bras, elle le fit s'étendre dans la direction d'un animal à la couleur cendrée. Les première secondes, l'animal ne broncha pas, puis, en un instant, ses prunelles se dilatèrent, sa carapace frémit et ses crocs ressortirent. Il fit un bond en avant, hurlant, menaçant. Heureusement, sa gueule s'était refermée dans le vide, juste à côté du bras de l'Opalienne. Celle-ci n'avait pas bougé, elle s'attendait à cette réaction.

– Si je les aime ? Moi oui, mais eux ne m'apprécient guère. 

Un sourire apathique s'était dessiné sur son visage. Elle n'éprouvait ni tristesse, ni rancune, ni mélancolie, elle était juste déçue de ne pas correspondre à un profil qui mettait en confiance les bêtes. Cela avait toujours été ainsi, elle était comme qui dirait, née avec. Même quand elle ne faisait rien pour décevoir ou effrayer un animal, celui-ci la haïssait, par pur réflexe. La nature devait en avoir décidé ainsi. Dommage, elle dont un des rêves serait de chevaucher une des ces merveilles quand elle en aurait été capable. Pandore rangea alors son bras le long de son corps, enfoui sous la toge, se retournant mollement. Son expression paraissait toujours joyeuse, mais pas très véridique. Tournant désormais le dos au dragon qui grognait et se repliait sur lui même par méfiance, la jeune femme resta ainsi, le temps de sentir le souffle lourd de l'animal lui tomber sur les épaules. L'aurait-il mangée toute crue, s'il l'avait pu ? S'il n'avait pas été dressé aussi durement ? Si des barreaux invisibles n'existaient pas entre son monde sauvage et celui de l'armée.

–  Je ne suis que depuis peu dans l'armée, donc aspirer à ce genre de bêtes ne m'est pas autorisé, voyez-vous. 

Ses yeux se plantèrent au sol, affaiblis. Elle aurait aimé pouvoir rajouter « mais vous voyez, quand j'aurais mûris, et que j'aurais plus d'expérience, je donnerais tout ce que je pourrais pour m'en faire un compagnon de quête » Mais la soldate ne parvenait à s'imaginer un jour capable de se familiariser avec un colosse de ce genre. Un silence certain s'installa, laissant penser que la Ludwing était défaitiste au point d'en perdre la parole. Elle se ressaisit, et mentit comme elle le pu, déguisée d'amertume :

– Si un jour je monte en grade, peut-être que cette faveur me sera accordée.

Elle n'aimait pas mentir, que ce soit aux autres ou à elle même. Ses yeux rieurs se calmèrent, et la Ludwing s'éloigna silencieusement de l'enclos. L'animal se calma derechef, regagnant sa position de repos, comme si de rien n'était.

Elle s’était rapprochée des enclos, comme fascinée. Andy suivit le mouvement, intrigué. Le dragon aux écailles grises cendrées se montra particulièrement nerveux à l’arrivée de la jeune femme, comme si elle le repoussait naturellement. C’était quelque chose qu’Andy voyait souvent, lorsque des petits enfants de riches réclamaient à leurs parents qu’on leur offre un dragon ; il se voyait toujours dans l’obligation de refuser, constatant qu’ils étaient trop souvent considérés comme des objets. Pourtant cette fille semblait les apprécier sincèrement.

Lorsque le dragon s’énerva, Andy resta de marbre, sachant qu’il ne l’attaquerait en aucun cas et qu’il s’agissait d’une simple tentative d’intimidation. Il les connaissait par cœur et savait anticiper la moindre de leurs réaction.

Il l’écouta avec attention, silencieux, identifiant toute l’authenticité de ses paroles. C’est vrai que peu de soldats pouvaient prétendre pouvoir chevaucher un dragon ; cela n’était réservé qu’à l’élite, à ceux qui se trouvaient au sommet de la hiérarchie et qui avaient acquis suffisamment d’expérience pour être certain de s’en sortir sans encombre. Même dressés, les dragons étaient toujours terriblement imprévisibles après tout…

Il regarda son interlocutrice s’écarter de la barrière, et s’appuya lui-même dessus. Le dragon cendré s’approcha instinctivement de lui, calme, attiré comme un aimant par la présence de celui qui l’avait dressé.

« Les dragons sont des créatures intelligentes, vous savez. Si vous leur prouvez votre valeur, ils vous le rendront bien. Je ne peux que vous souhaiter d’y parvenir un jour. »

Andy posa sa main sur le haut du crâne du dragon, et tourna la tête vers la blonde, lui lançant un regard qui lui suggérait de faire de même. Tout le monde pouvait approcher un dragon, en faisant l’effort de s’y prendre correctement. Cela demandait juste de la patience, une patience bien plus grande que pour n’importe quel autre animal quelconque.

« Au fait, je ne me suis pas présenté. Je suis Andy Jacobsen, draconier officiel de l’armée. Et vous êtes ? »

Pandore fit les yeux ronds. Prouver sa valeur à un dragon ? Comment une impulsive dans son genre aurait pu le faire ? Elle n'était que colère et impatience, sauf à l'issue d'un combat. Peut-être était-ce cette partie grondante en elle qui énervait les bêtes, comme si elle dégageait une aura néfaste. Ce n'était pourtant pas son intention, mais son caractère avait toujours été très fort, très improbable. La guerrière gonfla ses joues quand elle vit le dragon nicher son nez au creux de la paume de l'inconnu. Telle une gamine, elle était jalouse et aurait presque tendance à bouder. D'un autre côté, elle admirait cette docilité, mais de loin, de très loin. Lorsque l'homme lui fit signe de la tête d'avancer, Pandore prit peur. Son visage remua de gauche à droite en guise de refus. Elle n'avait vraiment pas envie de gâcher cette image de familiarité.

– C'est bon, je suis bien ici.

Après une grimace de mécontentement, elle se concentra à nouveau sur l'animal. Celui-ci l'avait complètement oubliée, il n'avait d'yeux que pour le garçon à la tignasse ébène. C'était à peine si l'animal ne lui sautait pas dessus pour lui faire la fête, presque comme un animal domestique. Au début impressionnée, la Ludwing ne tarda pas à s'interroger. Si elle ne voyait pas souvent de dragons, elle n'en avait encore jamais vu un agir de la sorte. Dame nature choisissait bien ses alliés. C'est alors qu'il se présenta, son nom lui parut banal, mais son statut fit rire l'Opalienne. Le draconier officiel, pas étonnant que l'animal l'apprécie ainsi. Plongeant une main dans ses cheveux de marbre, Pandore se mit à les frétiller bêtement, toujours une expression étonnée et amusée accrochée au visage :

– Haha, je me disais bien aussi..  ne put-elle s'empêcher de lancer, avant de se rendre compte qu'elle pensait tout haut. Elle s'inclina ensuite respectueusement, le menton voûté, afin de se présenter à son tour – Pandore, Pandore Ludwing, simple soldat.

En en rien de temps, l'homme était remonté en flèche dans l'estime de celle-ci. Un draconier, rien que le nom sonnait grand. De plus, il avait l'air de bien connaître son métier, au vue de la réaction des bêtes à sa vue – oui car à présent, le dragon cendré n'était plus le seul à crier sa joie, les deux autres des enclos voisins se remuaient frénétiquement eux aussi -. La curiosité naturelle de la soldate fut réveillée, et elle fixait désormais tour à tour tous les dragons qui les entouraient.

– Ce que veut dire que vous devez en connaître pas mal d'ici, si ce n'est.. tous ?

Question idiote puisqu'il se présentait comme draconier officiel, mais en soit, cette question était plus posée dans le but d'inciter Andy à en présenter quelques uns, et même mieux, à les décrire. Si Pandore n'y connaissait rien en matière de dragon, cela ne l'empêchait pas d'en être admirative, et en savoir plus à leur sujet, elle ne demandait que ça.

Andy esquissa un sourire en voyant la moue que tirait la jeune femme. C’était sans doute normal quand on voyait avec quelle facilité il approchait les dragons, et de quelle manière il les attirait naturellement. Et vu le mal qu’il s’était donné pour les dresser parfaitement, on peut dire qu’il méritait de telles faveurs. Il n’y avait que ces bestioles pour oser apprécier ne serait-ce qu’un peu Andy Jacobsen.

Il se redressa lorsqu’elle se présenta poliment et s’inclinant légèrement. Elle s’appelait donc Pandore. C’était un nom qui sonnait bien à son oreille et qui lui seyait relativement bien. Elle lui semblait être une soldate dévouée et persévérante, c’était plutôt positif quand on faisait partie de l’armée d’Opale. C’est commun, dès que les gens découvraient son identité, ils changeaient immédiatement de ton avec lui. Il s’y habituait à force, cela avait toujours été ainsi depuis presque trente ans. Mais il était plaisant de voir que son métier attisait sa curiosité. Personne n’osait lui poser ce genre de question en principe, les autres étant tous persuadés que le maître avait un caractère aussi draconien que ses bestiaux. C'était bien sûr le cas, mais pas toujours.

« En effet. Je les ai tous dressés. »

Il n’y en avait pas un seul ici qui ne venait pas de chez lui. Il était le seul homme assez dingue pour s’être lancé dans une telle folie, pour le moment. Les dragons fascinaient, mais personne n’osait trop s’en approcher, ne sachant pas comment s’y prendre.

Andy tapota la tête du dragon cendré avant de s’en écarter pour saisir une grande mallette qu’il avait emportée, remplie de très larges bandages et de divers outils plutôt hors du commun.

« Je viens ici régulièrement sur demande pour vérifier leur état de santé. Ils sont robustes mais ont quand même besoin d’une attention particulière, et ce n’est pas de tout repos. »

Il prit un rouleau sous son bras et retourna vers le jeune dragon, attrapant son aile gauche qui était défaillante, car blessée lors d’un vol il y a quelques semaines. Il lui avait déjà apporté les soins nécessaires et devait changer son bandage régulièrement. Il s’accrocha aux cornes du dragon pour grimper sur son dos.

« Celui-là par exemple est plutôt jeune et vous ne l’aviez peut-être pas remarqué auparavant, mais son aile est blessée. C’est probablement pour cela qu’il est aussi nerveux. » Il remarqua alors qu’il avait oublié un outil essentiel pour retirer le bandage qui était déjà fait. « Passez-moi les ciseaux qui trainent à côté de la mallette s’il vous plait. »

Impressionnant, dresser autant de dragon, cela ne relevait tout simplement plus du talent mais de la vocation. Admettons, dresser une seule de ces bêtes devait bien prendre au moins deux bonnes années, si ce n'était plus.. Alors en élever plus d'une trentaine. Pandore souffla, en signe d'admiration, avant de suivre Andy du regard. Celui-ci entra sans gêne ni mal dans l'enclos de la bête. Sans bruit, il s'avança au niveau de son coup, sans que le dragon ne bronche pour autant. Il tenait d'une main une mallette noire, et tapait amicalement le crâne de l'animal de l'autre. Ainsi donc il les soignait, en plus de les élever, cet homme devait avoir beaucoup de patience et d'attention à revendre. En une petite acrobatie qui lui semblait habituelle, il grimpa le long de l'encolure musclée du dragon, s'aidant des cornes comme accroche. Il expliqua ensuite que le cendré était blessé au niveau de l'aile, et ce ne fut qu'à ce moment donné que Pandore remarqua le pansement plutôt imposant qui recouvrait une partie de sa carapace. Si l'homme semblait expliquer la nervosité du dragon par sa blessure, Pandore en fut peu convaincue, mais elle n'avait pas envie de contredire l'expert. Ses prunelles n'avaient cessé de scruter la blessure, mine de rien, celle-ci ne semblait pas anodine. Son tempérament l'emporta sur sa retenue :

– Il... Il s'est fait ça comment ? 

Ne se rendant compte qu'après coup qu'elle posait des questions sans réfléchir, elle détourna le visage. Ses pensées se tournaient déjà par une morsure d'animal, un combat quelconque, ou une chute, mais au fond, à quoi cela l'avançait de savoir. Lors qu’Andy lui désigna la paire de ciseaux qui traînait non loin de ses pieds, Pandore hésita un instant. Si elle s'approchait de trop, le dragon allait non seulement la manger toute crue, mais il allait en plus déstabiliser son cavalier. Ses épaules retombèrent, et, en tournant les yeux sur le côté, Pandore se pencha pour saisir l’ustensile. C'était l'occasion pour elle d'en approcher un de plus près. Envahie à la fois par l’excitation et la curiosité, elle fit un premier pas en avant. La bête ne lui accorda pas même un regard. Un deuxième puis un troisième pas l'amenèrent à l'intérieur de l'enclos. Les autres pas s’enchaînèrent, avec quelques haltes, jusqu'à ce que Pandore se retrouve à portée de bras d'Andy. Sa main elle aussi bandée s'éleva alors centimètres par centimètres, frôlant de peu la peau cuirassée du dragon. Le cœur de l'Opalienne s'arrêta quand l'animal plongea des yeux féroces dans les siens. Ce fut très court, mais pendant un instant, elle avait capté son regard. Il remua alors la tête sur le côté, comme pour se détacher de la situation. Les yeux de la Ludwing s'illuminèrent alors que son bras était entièrement tendu vers le haut. Mais elle était trop pressée, et relâcha ses muscles trop rapidement. Le dragon de cendre émit un rugissement ravalé, menaçant. Pandore ne broncha pas, mais referma sa main saine sur sa main abîmée, comme pour la cacher.

– Le pauvre, avec moi à côté il doit être doublement nerveux.

C'était prononcé comme une blague, mais cela était quelque peu douloureux. Reculant de quelques pas, elle finit par s'adosser à l'une des parois de l'enclos, toujours à l'intérieur cependant. Elle laisserait Andy faire son travail sans le gêner. C'est alors que des questions et des théories idiotes se placèrent dans l'esprit de la soldate.L'une en particulier la démangeait, mais comment l'expliquer sans tourner au ridicule cette rencontre. Elle prit donc un air gêné, presque béat, s'aventurant à se rassurer par une question simplissime.

– Dîtes... Les dragons.. Ils... Ils n'ont pas peur du feu n'est-ce pas ? Ce serait débile non ? 

Son sourire aussi forcé que possible masquait mal toute l’inquiétude qu'elle avait à propos de ce sujet. Elle n'avait pas peur de passer pour une abrutie, mais, sans s'en rendre compte, ses yeux s'étaient posés sur ses mains, tristes.

C’était maintenant Pandore qui se montrait curieuse. Mais lui n’avait rien à cacher, et donc aucun problème pour lui répondre. D’habitude, les soldats le regardaient faire de loin et n’osaient même pas l’approcher. Il ne s’en plaignait pas, mais il appréciait de voir que tout le monde ne s’intéressait pas aux dragons pour leur seul avantage pratique.

Andy se mit à réfléchir sur la cause de cette blessure, n’étant pas tout à fait certain que son cavalier lui ait raconté la véritable version de l’histoire, étant donné qu’il savait pertinemment que la peau d’un dragon était bien trop solide pour s’amocher d’une telle façon. Mais l’important n’était finalement pas de connaître l’origine de la blessure, juste de le soigner, même s’il est certain qu’Andy irait gueuler après l’armée s’il découvrait un jour qu’elle ne traitait pas ses dragons correctement.

« D’après son cavalier, il aurait percuté un objet non identifié en plein vol et s’est scratché juste après… »

On pouvait clairement saisir le doute dans ses paroles, bien que marqué d’une certaine indifférence. Il attendit patiemment qu’elle lui amène la paire de ciseaux, observant les réactions du dragon alors qu’elle s’approchait prudemment. Il n’avait pas même daigné lui lancer un regard, visiblement méprisant à l’égard de cette jeune femme qui pourtant n’avait rien fait de particulier pour ne recevoir que si peu d’égards. Peut-être ne contrôlait-elle pas assez bien ses émotions ; et il sentait tout ce qu’elle pouvait ressentir. C’était classique, un dragon qui refuse d’être approché par une personne dont les sentiments lui paraissent trop étrangers.

Andy attrapa la paire de ciseaux que lui tendait Pandore, et coupa sans aucune précaution le bandage, qui tomba au sol en soulevant la poussière. Il empoigna l’aile du dragon, la plia correctement, satisfait de voir que la blessure guérissait assez rapidement. Il refit alors le bandage avec soin, alors que le dragon avait posé sa tête sur le bord de l’enclos, visiblement ennuyé.

Une fois qu’il fut terminé, Pandore osa une question, vraisemblablement gênée, qui fit sourire Andy. Si les dragons craignent le feu ? Il n’y avait rien au monde qui les repousse davantage que le feu. C’était bien grâce à cela qu’Andy avait réussi à maîtriser autant de dragons en si peu de temps. C’était relativement simple de les mettre à terre avec de simples flammèches. C’était le seul point faible qu’il connaissait aux dragons, et c’était déjà une grande avancée.

« Bien sûr que si, une vraie phobie. Regardez donc. »

Il attrapa les cornes du dragon cendré pour tirer sa tête en arrière, ce qu’il fit docilement sans broncher. Il s’avança alors et passa son bras par-dessus son crâne, pour que sa main soit bien visible. Alors il claqua des doigts, faisant naître une flammèche au creux de sa main, qui paniqua totalement le dragon. Ce dernier eut un violent mouvement de recul, et manqua de peu d’enfoncer ses cornes dans le ventre de son maître. Il recula avec précipitation vers le fond de l’enclos, tellement effrayé qu’il en oublia qu’Andy était sur son dos. La flamme s’éteignit alors, et le jeune homme descendit du dos de la bête qui avait immédiatement repris son calme, mais qui semblait faire la tronche dans un coin de l’enclos. Andy ne craignait pas de faire ce genre de petit rodéo avec ses dragons, malgré le véritable danger que cela pouvait être, même pour lui.

Il s’avança vers Pandore, se penchant difficilement pour ramasser sa mallette à cause d’un soudain mal de dos sans doute dû à cette petite démonstration suicidaire.

« Vous voyez, ce n’est en rien débile, ce ne sont que des idées reçues. Aucun de ces dragons ne crache de feu, contrairement à ce que l’on croit. Les cracheurs de feu sont bien trop rares pour que vous puissiez en voir un dans votre vie. »

Apprendre que l'origine de la blessure s'était passée lors d'un vol fit ronchonner la Ludwing. Ces animaux étaient nés avec des ailes, allez lui faire croire qu'ils ne savaient pas bien s'en servir. En tous cas, la faute n'était certainement pas due à un mauvais contrôle ou une mauvaise trajectoire de la bête. A la fois désolée et suspicieuse sur ce problème, Pandore ne s'autorisa pas un mot. Muette, elle observa simplement l'homme recouvrir à nouveau habilement la zone de chair abîmée.

Il daigna finalement répondre à sa question, et répondit sur le ton de l'évidence. La réponse positive la fit réagir, les dragons avaient peur du feu ? « Mais à quel point ? » aurait-elle voulu lancer, avant qu'Andy propose de lui montrer directement. Il se pencha délicatement en avant, montrant sa main à la bête qui regardait avec curiosité. Le claquement de doigt valut un cris monstre du dragon qui se cabra derechef. Pandore en restée clouée au sol, elle l'avait bien vue, pendant une fracture de seconde, cette étincelle naissante au creux de la main du draconier. Il n'avait pourtant pas de briquet, ce ne pouvait être que...

La guerrière n'eut pas le temps de songer plus. Le dragon, hissé sur ses pattes arrières, grognait de mécontentement. Il recula à une vitesse folle, menaçant d'écraser Andy contre le mur. La flamme disparut, laissant place à un silence sans nom. Le poitrail battant, les crocs ressortis et les pupilles dilatées, le dragon eut un moment d'absence avant de retrouver une apparence plus « apaisée ». Le cavalier descendit avec une certaine sérénité, bien qu'ayant été en danger de mort deux secondes plus tôt. Le dragon vint se terre dans le coin opposé, tandis que l'homme marchait en direction de Pandore, qui était restée plantée au même endroit, ébahie. Tous deux décidèrent alors de sortir de l'enclos pour laisser la bête se reposer pendant qu'Andy lui expliquait qu'il s'agissait d'une des plus grandes phobies des animaux.

A présent face à face, Pandore fit une moue vaseuse, celle d'une femme à qui on avait arraché ses préjugés. Elle leva alors sa main bandée, aussi doucement qu'étrangement. Se cachant légèrement des enclos, elle prit la parole, éberluée :

– Je comprends... 

Le bandage se mit à frétiller, petit à petit, de la fumée s'en échappa. Un bout se mit à brûler, puis le reste s'enflamma silencieusement. Quand celui-ci eut terminé de se consumer, c'était toute la main de Pandore qui brûlait. Non ce n'était pas douloureux, c'était simplement, lourd à porter. Quittant cette main des yeux, elle jeta à Andy un regard émerveillé :

–  Alors c'est à cause de ça ! Ils ne m'aiment pas à cause de cette connerie ! 

Si elle était enthousiasmée à ce point. C'était parce qu'elle avait comprit un élément clef. Elle avait beau être une Karnevalienne dans l'élément du feu, Andy l'était également. Il n'y avait donc qu'une conclusion à en tirer. Ce pouvoir, aussi étrange soit-il, n'était pas quelque chose dont elle était fière, car il était outil de sa colère, et non d'elle même. Son but est et à toujours été de se maîtriser, car une fois le Karnevale utilisé à son maximum, elle n'avait plus le contrôle. Ces bêtes étaient pire qu'intelligentes, elles devinaient tout. Les dragons ne la voyaient que comme une fille instable et dangereuse. Bon sang, si elle l'avait su plus tôt, Pandore n'aurait pas tiré des conclusions si hâtives.
Elle passa alors son autre main sur celle enflammée. A mesure que sa peau frôlait les flammes, celles-ci disparaissaient. La main entièrement revenue à la normale, elle se permit un sourire enfantin. Ses prunelles étincelaient, comme rabibochées de motivation. Dans un soupir de soulagement, elle ne put s'empêcher de murmurer, alors que ses bras regagnaient sa toge :

– Ahh.. C'est super.

Une main vint alors se poser sur l'épaule réjouie de Pandore. Il s'agissait d'un soldat de l'armée. Elle le scruta alors que celui-ci lui fit comprendre qu'elle était attendue. L'Opalienne inclina alors la tête, en signe d'approbation. D'un geste de main, elle salua le dénommé Andy Jacobsen, l'expression toujours ravie

–  Je dois filer, ce fut enrichissant, merci.

Sans prendre la peine d'attendre une quelconque réponse, elle fit demi-tour, suivant le garde. Ses mains se resserrèrent sur la sacoche en cuir, le moment était venu de passer aux choses sérieuses.